L’Espagne a longtemps fait figure d’exception malheureuse en Europe de l’Ouest. Les fractures d’une construction étatique et nationale adossée à la suprématie de l’Église catholique ont débouché, en plein XXe siècle, sur une dictature anachronique dans le contexte européen. C’est pourquoi la métamorphose démocratique de l’Espagne après la mort de Franco a beaucoup étonné en son temps. Sa rapidité masque cependant un horizon temporel bien plus vaste. La courte transition démocratique concrétise des changements déjà à l’œuvre sous le franquisme tout en mettant en place des règles du jeu politique solides mais aujourd’hui contestées. L’ingénieux compromis territorial du système des autonomies, qui a engendré un processus de fédéralisation de l’État espagnol, attise la frustration des nationalismes exclusifs. Et la stabilité gouvernementale, longuement facilitée par un quasi-bipartisme, est précarisée par le fractionnement de la scène partisane qui mobilise un mélange d’enjeux inédits et de clivages anciens polarisant à nouveau son espace idéologique.