L’un des nombreux paradoxes du régime de Franco est d’avoir renforcé l’attractivité des nationalismes périphériques, et plus largement l’expression des identités territoriales, qu’il avait mis beaucoup de zèle à réprimer en exaltant l’unité absolue de la nation espagnole. Si les actions armées d’Eta ont été les démonstrations les plus spectaculaires du rejet de ce nationalisme espagnoliste intolérant, toutes les grandes oppositions clandestines avaient mis, par contrecoup, le pluralisme culturel et la décentralisation du pouvoir étatique au cœur de leurs conceptions d’une future Espagne démocratique. Au début des années 1970, les partis communiste et socialiste défendaient ainsi la création d’une république fédérale et le droit à l’autodétermination des nationalités et des peuples d’Espagne. Une fois la démocratisation sur les rails, comment concilier les exigences antinomiques des défenseurs d’un Etat unitaire centralisé d’un côté et, de l’autre, les demandes nationalistes basques et catalanes pouvant le disloquer ? D’autant qu’à ces dernières se sont jointes de multiples revendications régionalistes. L’invention ingénieuse de « l’Espagne des autonomies » a tenté de résoudre cette équation compliquée sans parvenir à désarmer durablement les contestations de l’Etat espagnol. L’apparition, dans la Constitution, des Communautés autonomes (CCAA) jette les bases d’un processus original de fédéralisation de l'Espagne, dont le gouvernement doit composer avec des gouvernements intermédiaires dotés de larges pouvoirs. La très large capacité d’action des CCAA n’a pourtant jamais empêché l’expression au sein des "nationalismes périphériques" de courants pour lesquels l’autonomie frustre le désir d’indépendance. Mais les dynamiques de leur confrontation avec l’Etat espagnol suivent des trajectoires inversées. Si les relations entre l’Etat espagnol et le nationalisme basque ont d’abord été marquées par le terrorisme d’Eta, elles se sont considérablement améliorées depuis sa disparition. C’est le contraire du côté du nationalisme catalan qui, s’il n’a jamais été tenté par la violence, s’est soudainement radicalisé jusqu’à ne plus envisager d’autre voie que celle de la séparation de la Catalogne et de l’Espagne.